Il est samedi matin. La mer est agitée et le vent souffle à plus de 25 nœuds depuis plus de 2 jours. Les vagues déferlent sur la côte obligeant la capitainerie à garder le port fermé depuis jeudi après-midi. Depuis mon arrivée mercredi soir au port Bourgenay après de la Puru Challenge race (Mini-Gascogna), une course sur 600 milles nautiques en 2 étapes qui nous a amené du Port Bourgenay à Bilbao puis retour, j’attends une fenêtre météo favorable pour partir en qualification.
La qualification hors course est un passage obligé pour tous les ministes désirant participer à la mini-transat. Le parcours est imposé. Il fait une boucle de 1000 milles entre l’Ile de Ré, le plateau de Rochebonne au large de la Rochelle et une bouée cardinale sud au sud-est de l’Irlande. On dit que c’est l’étape la plus difficile avant la transat. Elle n’est pas encadrée, et tu choisis le moment pour partir toi-même. Elle te fait traverser une partie du golfe de Gascogne, la Manche et la mer Celtique.
Les dépressions s’abattent sur l’Irlande les unes après les autres ne laissant que très peu de place à un aller-retour dans la mer Celtique en toute sécurité. J’ai de gros doutes sur mon départ ces prochains jours.
Comme prévu, j’appelle Hervé, mon coach pour faire le point. Il me dit qu’une fenêtre météo s’ouvre à condition de monter directement en Irlande et de partir aujourd’hui dans l’après-midi. J’avais prévu de contourner d’abord l’Ile de Ré afin de ne pas devoir passer deux fois par Port Bourgenay, mon port d’attache et d’arrivée étant La Turballe en Loire-Atlantique. Avec cette option, je mets un jour de plus pour arriver dans la mer Celtique. J’appelle Marie-Amélie qui fait mon routage météo et lui demande qu’elle confirme la fenêtre. Nous sommes tous les trois d’accord que le départ doit se faire au plus vite et en direction de l’Irlande. Une puissante dépression atteint la mer Celtique jeudi prochain avec un premier front dans la nuit de mardi à mercredi. Je dois absolument avoir quitté cette zone de dépression avant jeudi matin, sachant que depuis mardi soir déjà, ce sera sportif.
J’informe la capitainerie que je pars dans l’après-midi bien que le port soit fermé et je pars avitailler pour 11 jours.
A mon retour, je fini de préparer Lomig, mon bateau. Le garde-port et les autres ministes sur place m’aident à sortir Lomig qui est coincé au milieu d’autres « minis » qui attendent impatiemment que la mer se calme. Je sens sur le visage de mes amis une certaine crispation quand je leur dis que je pars cet après-midi. La mer n’est pas accueillante. Elle reste très agitée. Il sera donc très important d’avoir les voiles hissées à ma sortie du port afin de pouvoir manœuvrer Lomig dans les déferlantes.
Après avoir dit au revoir à mes amis ministes, Benoît, Anne, Julien, Peter, etc. et après avoir informé ma femme Cynthia par téléphone, le garde-port m’escorte jusque dans le chenal de sortie. Je hisse ma grande voile (GV) et mon génois juste pour avoir assez d’appui pour le départ et ne pas me faire surprendre par une vague. La marée est haute, j’ai donc assez d’eau pour ne pas craindre de talonner. Il est samedi 16h30.
Je prends rapidement de la vitesse. Le zodiac du garde-port lâche mon amarre et je sors du port entre 6-7 nœuds. Je mets le cap vers l’ouest pour m’éloigner des dangers et je finis d’étarquer mes voiles. Je prends un ris sur la GV et un ris sur le génois et mets le cap directement vers le raz de Sein, pointe ouest de la Bretagne. Le vent souffle à environ 20kts avec des rafales à 25 et les vagues s’élèvent entre 2 et 3 mètres. Je suis au près, j’ai le vent et les vagues contre moi. Pour le moment pas de surprise, tout se passe comme prévu.
Les premières 36 heures jusqu’au raz, qui se trouvent à 200 milles, vont être agitées. J’essaie de me reposer régulièrement toujours par tranche de 20 minutes. J’avoue que pour le moment j’ai encore de la peine à vraiment dormir. Je ne suis pas encore en déficit de sommeil.
Cela ne me stresse pas, je me connais des courses précédentes. Les premières nuits sont toujours assez compliquées. Mon corps demande du sommeil comme chaque nuit, mais je ne suis pas encore assez épuisé pour dormir dans les conditions musclées dans lesquelles je suis actuellement. En général, je m’habitue au nouveau rythme après 1-2 jours. Je me repose donc, je somnole dès que je peux, à n’importe quelle heure de la journée ou de la nuit. Je prends l’habitude de presser sur le bouton du réveil réglé à 20 minutes, à chaque fois que j’entre dans le carré (intérieur du bateau).
Dimanche soir, après un peu plus de 24 heures de navigation, alors que je m’approche du raz de sein, je contacte Marie-Amélie pour faire un point météo. La situation n’a pas changé, je garde la même stratégie.
Alors que durant les courses je n’ai pas le droit au téléphone, donc pas la possibilité de contacter qui que ce soit, ni de télécharger un fichier météo, Il en est autrement pour la qualification hors course que je réalise actuellement. A chaque fois que j’ai du réseau, je télécharge le dernier fichier météo, analyse les possibles changements et refais un routage pour m’assurer de pouvoir arriver en Irlande avant la grosse dépression de jeudi. C’est rassurant d’avoir des personnes de confiance à terre pour confirmer ou pour challenger mes analyses.
Le raz de Sein est un passage critique et potentiellement dangereux. Des courants de plus de 5 nœuds y circulent provenant du Golfe de Gascogne ou s’y déversant. Il ne peut être passé qu’avec un courant favorable. Il en va de même pour le chenal du Four que se trouve à une vingtaine de milles au nord du raz de Sein. Entre le ras et le chenal se trouve la mer d’Iroise.
Je sais que si je garde ma vitesse j’arriverai autour de 3 heures lundi matin au raz de Sein. Le courant sera favorable jusqu’aux environs de 7 heures. J’espère pouvoir passer dans la même marée les deux difficultés. Ce serait absolument génial, sachant que si je loupe une bascule, j’attends 6 heures avant de pouvoir me relancer dans la passe.
Il est 3 heures et quart lorsque je passe le raz de Sein à une vitesse de plus de 10 nœuds sur le fond dont 5 provenant du courant. Après le passage du raz, la mer se lève. Il faut que je sois très vigilant sur les quelques prochaines encablures. Le passage d’une mer à une autre peut se révéler surprenant et potentiellement dangereux, surtout si l’on ne connait pas bien les lieux.
Je continue sur ma lancée et vers 6 heures, je passe le chenal du Four. Ma vitesse diminue en même temps que le courant. Je sors du chenal même avec un petit courant contraire. Ce n’est pas grave, le vent souffle toujours entre 15 et 18 nœuds et me fais bien avancer, même à contre-courant.
Juste après la sortie du chenal, c’est la poisse. Le pilote automatique se met en panne. Je prends la barre et réfléchis aux prochaines étapes.
J’ai un pilote et un vérin de secours. J’allume le pilote de secours mais le vérin se trouve dans une sacoche au fond du bateau. Pour ne pas perdre trop de temps, j’essaie d’équilibrer Lomig le temps que je récupère le vérin de secours. C’est un exercice un peu scabreux mais je m’en sors assez bien. J’aurais pu me mettre à la cape mais avec le courant à contre, j’aurais perdu passablement de temps et surtout je me serai fait aspirer dans le chenal à nouveau en direction de la mer d’Iroise.
Lomig avance donc avec le pilote et le vérin de secours. Je n’ai plus d’indication de l’aérien, donc plus de force et de direction de vent. J’essaie de comprendre ce qu’il s’est passé. Je contrôle visuellement l’aérien qui se trouve en tête de mât. Depuis le pont, il a l’air en ordre. J’essaie à nouveau de redémarrer toute l’électronique du bateau, sans succès. Le système affiche des erreurs bus, des collisions de data et même des courts-circuits, la totale quoi. J’essaie à nouveau de réinitialiser le système, mais sans succès. Puis, je débranche un à un chaque capteur pour éliminer une éventuelle panne d’un de ceux-ci, à nouveau sans succès. Durant mes essais, le pilote principal se met aléatoirement en marche quelquefois, alors que le pilote et le vérin de secours fonctionnent déjà. Je n’aime pas du tout le bruit que j’entends, même si cela ne dure que quelque seconde. Je ne suis pas sûr que cet exercice fasse du bien à la mécanique.
J’appelle Vincent, président du pôle et spécialiste de l’électronique à bord. Il n’est pas encore 7 heures du matin. Il répond et nous repassons ensemble toute la procédure. Le système reste en panne.
Je me résous donc à connecter mon vérin principal qui fonctionne encore, sur mon pilote de secours en mode dégradé, donc sans indication de vent pour les 800 milles qu’il me reste à parcourir. Je suis un peu tendu à cette idée, mais je n’ai pas le choix.
La traversée de la manche se passe très bien. Je fais des surfs à plus de 12 nœuds. Je ne croise pas beaucoup de bateau en passant près du DST – Dispositif de Séparation de Traffic – et arrive dans la soirée près du phare de Wolfsrock qui se trouve entre le sud-ouest de l’Angleterre et les Scilly. Je suis en route de collision avec un navire qui avance très lentement près de la côte anglaise. Je lui demande à la VHF ses intentions et lui demande de se dérouter de quelques degrés. Il a la gentillesse de s’exécuter et me laisser la route libre.
En longeant la côte ouest de l’Angleterre, je me retrouve bien malgré moi au milieu de la flotte de la Fastnet, une des courses au large les plus fameuses. Je suis tout d’un coup entouré de dizaine de bateaux de course skippés par les marins les plus prestigieux. Le vent tombe et nous restons tous bloqués la moitié de la nuit devant la côte anglaise. Un point météo avec Marie-Amélie dans la nuit confirme ma stratégie, je n’ai que quelques heures de retard malgré les soucis de pilote et la pétole.
Le vent reprend peu à peu dès 4 heures du matin. Il est mardi. Jusqu’à 11h, j’avance lentement et pas tout à fait dans la bonne direction. Dès midi, les choses sérieuses reprennent. J’avance à nouveau entre 6 et 8 nœuds en direction Coningbeg, la fameuse cardinale au sud de l’Irlande que tous les ministes connaissent. La journée est très belle, la mer bleue et peu agitée. Le vent autour des 15 nœuds. J’avance au près débridé (bon plein) et au reaching (vent de travers). Je profite pour faire deux relevés astronomiques nécessaires pour le dossier de qualification. Cela fait deux ans que j’en n’ai plus fait et il faut que je me dérouille un peu. Les dauphins m’accompagnent durant toute la traversée de la mer Celtique. C’est un moment très fort de ma qualification. Il faut que je profite, les conditions s’annoncent bien moins agréables pour le retour. Vers 16h, un gros bruit provient de sous la coque. Je vois une forme qui pourrait bien ressemble à un tronc d’arbre s’échappant derrière Lomig. Je vérifie s’il y a des dégâts sur les safrans, la quille et la coque. Tout va bien, je continue ma route.
Il est mardi soir lorsque j’approche de Coningbeg. Le ciel se couvre. J’essaie de trouver du réseau pour faire un point météo et pour contacter la terre pour dire que tout va bien, sans succès.
Je contourne Coningbeg vers 22h30. Les conditions se renforcent, nous avons maintenant force 5. Je longe la côte Irlandaise pour trouver du réseau, mais je suis encore trop éloigné. Le vent continue à forcir et la mer devient désagréable. Je décide donc de reprendre ma route en direction des Scilly, sans prendre la météo. Je suis encore dans les temps, mais je ne dois pas traîner.
La nuit sera comme prévu agitée avec force 5-6 et des rafales dépassant 30 nœuds au près serré, mais pas de pluie. C’est tant mieux. Je ne dors que très peu. Mercredi matin vers 8 heures, je prends mon petit déjeuner. Comme tous les jours, je rempli mon thermos de café et la moitié d’un berlingot de lait d’un quart de litre. L’autre moitié, je l’utilise pour mes céréales. Une espèce de rituel pour commencer la journée et surtout pour terminer la nuit.
Il est vrai que mis à part le petit déjeuner, je n’ai pas vraiment de rythme. Je me repose dès que j’ai du temps. Je mange dès que j’ai faim – souvent je dois me forcer à manger. J’ai souvent la flemme de me préparer un repas, lyophilisé, que je ne vais pas vraiment apprécier. Je répare des bricoles qui se cassent. Je rempli mon livre de bord. Je télécharge des fichiers météo, l’analyse et affine mon routage. Je calcule les courants aux heures de passage projetées en fonction des marées. Je prends quelques séquences avec ma GoPro. Je barre dès que je ne fais pas autre chose.
Les conditions de navigation restent très désagréables. Vers 14 heures, je note sur mon livre de bord : « C’est la baston depuis ce matin, attention à l’énergie sur le bateau ». Comme le temps reste très couvert, les deux panneaux solaires de 100W ont de la peine à charger les batteries. Ma pile à combustible se met en route automatiquement lorsqu’il n’y a pas assez de courant, mais il me semble qu’elle ne charge pas autant qu’elle devrait. Comme je n’ai pas encore beaucoup d’expérience au niveau consommation et charge, et que l’électricité est vitale pour la suite de l’aventure, je barre le plus possible. Mon cap me mène trop à l’Est mais la bascule avec le passage du front dans quelques heures devrait me remettre sur la route directe.
Le passage du front a lieu vers 18h, la bascule a lieu. Je me remets sur la route directe, mais le vent tombe. Je dois quitter la mer Celtique avant jeudi matin.
Vers 22 heures c’est encore une fois la poisse. C’est au tour du vérin de lâcher. Je remets donc le vérin de secours en me demandant s’il va tenir. Il reste 500 milles à parcourir. Galère. Il fait nuit, je n’ai pas envie de m’enfiler dans le couloir sous le cockpit pour aller voir les dégâts. J’irai quand il fera jour.
Jeudi vers 8 heures du matin, le vent tombe complétement. Je me mets à la cape et je m’enfile dans l’espace d’environ 40cm de haut pour aller au fond du bateau et comprendre ce qu’il s’est passé avec le vérin. La pièce de raccordement entre le vérin et la barre s’est décrochée, la vis de fixation est brisée.
En plus le capteur d’angle de barre pend alors qu’il devrait être vissé. J’en ai marre. Je regarderai plus tard ce que j’ai en pièces détachées pour éventuellement pouvoir réparer, puis je dors quelques séquences de 20 minutes. J’en ai besoin, la journée de mercredi m’a bien épuisé. Je suis proche de l’Angleterre, tout près de la sortie de la mer Celtique.
Il est environ 10 heures lorsque je rentre à nouveau dans la manche échappant ainsi à la dépression qui a déjà atteint le Nord de la mer Celtique. Ouf, même avec un peu de retard j’arrive à temps. Je mets le cap vers la Bretagne.
La traversée de la manche se fait au près débridé par 15-20 nœuds de vent. Une allure pas trop inconfortable et une bonne vitesse moyenne. En m’approchant près du DST, un navire se trouve en route de collision avec Lomig. Compte tenu de la différence de grandeur des deux embarcations, il serait bien plus simple si le cargo déviait sa route de 2 ou 3 degrés, plutôt que moi qui devrait changer d’allure et de cap de plusieurs dizaines de degrés. Sauf que c’est lui qui a la priorité.
Alors, je prends ma radio et je l’appelle sur le canal 16 :
« Asian Majesty, Asian Majesty, this is Lomig, this is Lomig, do you read me ?» “Lomig, this is Asian Majesty, go ahead” “Asian Majesty, Lomig here, I’m the little sailing boat on you port. Would you mind changing your route by some degrees and pass behind my stern?” “No problem, will do” “Many thanks! enjoy your day! “Same for you, have a safe trip, out!”
Voilà, cela vaut la peine d’essayer !
Les DST (dispositifs de séparation de trafic) sont des routes ou plutôt des autoroutes virtuelles, inscrites clairement sur les cartes, dans les zones à fort trafic maritime. Les voiliers ou les navires de plaisance ne sont pas censés les traverser sauf s’il n’y a pas d’autres possibilités. Durant les courses, ces zones sont interdites. En revanche, nous avons le droit de passer à proximité, ces zones étant clairement délimitées. D’ailleurs, cela me rappelle Armel Le Cléac’h qui passa à quelques mètres du DST de Ouessant, le même que celui que je suis en train de longer, à quelques heures de son arrivée victorieuse du Vendée Globe 2016/17. Il y avait eu quelques discussions sur le fait qu’il aurait éventuellement « mordu la ligne ». Ce n’est de loin pas la première fois que je passe à proximité d’un DST ou même que j’en traverse un, mais c’est la première fois que je me rends vraiment compte du travail des contrôleurs de trafic à terre qui surveillent tout ce qu’il se passe dans et à proximité de ces zones. Ils effectuent un travail exceptionnel et me font penser aux aiguilleurs de ciel à Cointrin.
Je m’approche du chenal du Four et espère pouvoir profiter du courant pour le passer. Avec le vent que j’ai actuellement cela devrait le faire. Je ne pourrai en revanche pas passer le raz de Sein dans la foulée comme il y a quelques jours, lorsque j’ai pris la même route dans l’autre sens.
Malheureusement, le vent tombe en m’approchant et la bascule de courant a lieu alors que je suis encore à 5 milles du chenal. Il est vendredi 4 heures du matin. Je suis frustré, j’avais tellement bataillé pour arriver à temps, mais voilà je n’ai aucune chance contre 4-5 nœuds de courant et sans vent. Je me mets à la cape et me laisse dériver, le fond étant trop profond pour mouiller. Je vais me reposer. La prochaine bascule est prévue pour 9 heures.
Je me mets en route vers 7 heures 30 pour me recaler dans la route. Il n’y a toujours que très peu de vent et j’ai dérivé de plusieurs milles vers le nord-est. Il me faudra quelques heures pour entrer dans le chenal et pouvoir enfin le passer. Le vent étant tellement faible, je n’arrive pas à passer le raz de Sein et reste coincé dans la mer d’Iroise jusqu’au soir.
Je profite de retourner dans le couloir où se trouve le vérin défectueux, cette fois-ci avec une vis de rechange et des outils. Pas facile de travailler dans un espace si confiné, juste à côté du canot de sauvetage emballé dans son sac. Après environ une heure j’abandonne. Le choc lorsque les deux vérins se sont enclenchés a dû être trop violent. Plusieurs pièces sont pliées ou déformées et je n’arrive même plus à faire passer la vis de rechange dans la pièce qui permet de tenir l’axe de la barre et le vérin ensemble. Je me résigne à terminer la qualification avec mon pilote et mon vérin de rechange.
La bascule de courant aura lieu vers 21 heures 30, mais déjà vers 20 heures 30 le courant contraire ralenti et s’arrête gentiment devant le raz de Sein. Le vent est pratiquement nul mais il me permet tout de même de me positionner devant le raz et d’attendre patiemment la bascule. Lorsque le courant change de sens, je me fais « aspirer » et pénètre à nouveau le golfe de Gascogne. La mer est plate, j’avance uniquement grâce au courant sans même pouvoir vraiment diriger Lomig dans la bonne direction. Les prévisions météo prévoient de la pétole jusqu’à samedi midi, puis du vent au portant jusqu’à Rochebonne. Environ 200 milles nautiques nous séparent de la prochaine cardinale à contourner, environ 36 heures selon le dernier routage.
Le soleil se couche. La plupart des autres soir, le ciel était nuageux, la nuit noire et la visibilité mauvaise. Cette nuit, c’est tout le contraire. Alors que Venus et Mars se couchent à l’Ouest, Jupiter et Saturne apparaissent à l’Est. Avant même de voir les premières étoiles dans le ciel, les planètes nous rappellent que nous ne sommes pas seul à graviter autour de notre soleil. Puis apparaissent Vega, Deneb et Altair formant un triangle au Zénith. Puis enfin, Cassiopée, la grande et la petite Ours en forme de casserole avec comme dernière étoile sur le manche, l’étoile Polaire. C’est vrai qu’aujourd’hui, nous avons des GPS et des boussoles performantes. Malgré cela, il est bon de pouvoir se repérer et surtout vérifier son cap en jetant un coup d’œil dans le ciel, sans technologie et sans intervention humaine. C’est rassurant.
Cette nuit est claire comme rarement, même si la lune est absente encore cachée par la terre. Les étoiles filantes se suivent les unes après les autres profitant de l’absence de lumière perturbant nos pupilles. En même temps, une famille de dauphins joue ensemble autour du bateau et apparait régulièrement en dessus de la surface de l’eau. Avec une simple lampe de poche, je suis leur jeu et leur danse du ventre sous la surface. J’en oublie d’aller me reposer.
Comme prévu, le vent ne s’est pas levé pas cette nuit. La pétole continue samedi matin et vers midi j’ai parcouru environ 25 miles depuis le ras hier au soir.
Le vent commence à rentrer vers 14 heures, d’abord force 3, puis force 4 au portant. Je navigue avec le grand Spi et profite de cette navigation magnifique. J’avance entre 6 et 10 nœuds avec un cap légèrement trop à l’ouest comme le routage l’avait prévu. Je garde le même bord toute la journée. C’est la première journée d’été et je profite d’enlever mon ciré et de prendre une douche. La deuxième depuis mon départ. Bon, j’avoue : un seau d’eau salée me sert de pommeau de douche autant pour me mouiller que pour me rincer. Entre les deux, un coup de savon gel et le tour est joué.
Je continue ma route plein sud et prévois d’empanner une fois durant la nuit pour pointer directement sur la cardinale Est de Rochebonne.
Le plateau de Rochebonne est constitué d’une série de hauts fonds qui se trouvent à 50 milles à l’ouest de l’île de Ré. Ils ne sont pas visibles puisqu’ils ne se découvrent jamais. En revanche, les navires avec un tirant d’eau de plus de 3 mètres pourraient bien s’y échouer. C’est pour cela que des cardinales délimitent le plateau. Je commence à connaître la zone par cœur puisqu’on s’y rend souvent lors des courses.
Durant la nuit de samedi à dimanche, le vent forci jusqu’à force 5. Je fais des surfs jusqu’à 12 nœuds toujours en direction du sud. Dimanche matin vers 4 heures 30, j’empanne vers l’Est direction la cardinale.
Vers 6 heures, alors que j’essaie de me reposer, le spi s’enroule autour de l’étai. Une fois, deux fois. Je sors du carré, mais le mal est fait. La grande voile s’est enroulée huit fois autour du câble métallique et se gonflait encore à mi-hauteur, donc à environ 5m du pont. Je mets Lomig sur un cap qui évite que le Spi continue à s’enrouler. On appelle cela une cocotte lorsque la voile s’enroule sur elle-même. Impossible de la dérouler. Lomig avance toujours à 8 nœuds juste avec la grande voile. Je joue avec le cap du bateau en espérant que le spi parte dans l’autre sens. J’essaie par la force de mes bras de tirer la voile vers le bas. Aucune chance. Plus je tire, plus la voile se resserre sur l’étais. Je suis assis à l’avant du bateau. Le jour se lève. Je réfléchis. J’hésite à couper le tout avec le couteau, mais cela ne m’avancerait à rien. La voile resterait enroulée sur la partie haute et je n’arriverais pas à la descendre non plus.
Après plus de deux heures de bataille, j’arrive enfin à dérouler le haut de la voile après avoir desserré la partie basse. Je suis complétement épuisé. Je prévois de me faire un café puis d’aller me reposer.
Finalement, j’aurai bu le café, mais avant de me reposer je relance le spi. Il faut bien avancer. Mais cette fois-ci je suis plus prudent pour éviter une nouvelle cocotte. Je remarque également que mon exercice a laissé une trace sur la voile, puisqu’elle s’est légèrement déchirée sur une quinzaine de centimètres à mi-hauteur. Rien de grave, par force 4 elle va tenir.
Je passe la bouée de Rochebonne vers 12h30 et je tiens ainsi pile poil le routage. Je mets le cap sur l’Île de Ré qui se trouve 50 milles à l’Est de ma position. Le vent a baissé à force 2. Je navigue toujours avec mon grand spi. Vers 17h, le vent se lève à nouveau et surtout le ciel semble vouloir nous tomber sur la tête. Des grains se forment tout autour de moi. Les premières rafales ne tardent pas à rentrer et je décide d’affaler le spi et de prendre 2 ris. Ce n’est pas le moment de casser. Le vent monte à force 5, peut-être 6, mais pas plus. Lorsque les grains disparaissent, sans vraiment avoir passé sur moi – j’ai senti que quelques gouttes de pluie – je relance le spi medium par force 4-5 et surfe en direction du pont de Ré.
A quelques milles du pont – le passage sous le pont de Ré est la troisième marque à passer pour valider la qualification - je croise Edouard pour la première fois.
Edouard fait également partie du pôle d’entrainement de la Turballe, tout comme moi. Il est parti un jour après moi, mais depuis la Turballe, alors que moi je suis parti depuis Port Bourgenay, 80 milles plus au sud. Nous avons eu quelques contacts radio durant les jours précédents et nous nous sommes aperçus au loin. Durant le parcours de qualification, nous n’avons pas le droit de naviguer en flottille et nous sommes donc restés à distance en suivant chacun nos propres routes.
Nous passons le pont l’un derrière l’autre dimanche vers 20 heures 30. Il reste 100 milles à parcourir jusqu’à la Turballe.
La remontée s’annonce très compliquée. Le vent est toujours très soutenu et la mer est entre-temps bien formée. J’ai réussi à éviter la grosse dépression dans la mer Celtique, mais les effets collatéraux de cette dépression sont maintenant arrivés à nous. Je navigue au près serré. Le bateau s’arrête entre chaque vague. Pour reprendre de la vitesse je dois abattre un peu. Bref, je fais des bords carrés durant toute la nuit et avance tout doucement. Lundi matin vers 3h30, je passe Port Bourgenay et je boucle ainsi le tour complet. Comme mon port d’attache est La Turballe, je continue à louvoyer courageusement pour m’approcher mille par mille de la ligne d’arrivée. Ce n’est que vers 14h, à la hauteur de l’Ile d’Yeu que je peux mettre le cap au nord et enfin m’approcher sérieusement de la Turballe.
Je me rends compte que depuis mon passage sous le pont de Ré dimanche soir, je n’ai ni mangé, ni bu, ni dormi. L’adrénaline et l’impatience d’arriver à la Turballe me donnent de l’énergie. Je continue ma route sans me poser trop de question. Le dernier routage me fait arriver vers minuit.
Après avoir laissé le plateau de la Banche à mon bâbord, au sud de la magnifique baie de la Baule, le vent commence à refuser. Je profite pour virer au nord-est pour aller chercher ma dernière cardinale, la cardinale ouest Basse Castouillet au large de la pointe de Croisic. Depuis là, il me restera à virer une dernière fois et à parcourir les 3 derniers milles avant d’arriver à la Turballe. Je croche un peu sur la dernière difficulté de mon parcours. Le vent changeant de direction et les courants au large de la pointe de Croisic m’ont fait transpirer quelque peu. Pourtant je connais bien ce lieu. Peut-être que par excès de zèle et de fatigue je vire trop vite et bricole durant environ 15 minutes pour essayer de passer la cardinale. Rien de grave, je fais un contre-bord pour me recaler et m’approcher de la Turballe à une vitesse de 6 nœuds.
Au loin, la Turballe éclairée. Je reconnais bien ce lieu, plus besoin d’instruments. Quelques pêcheurs quittent le port et me passent à côté. Au loin, j’aperçois un semi-rigide qui s’approche. De la musique et de la bonne humeur à bord. Mes copains et copines du pôle d’entraînement viennent à ma rencontre. Quelle belle surprise ! Il est mardi 1 heure du mat.. J’affale mon génois, puis ma GV et lance une amarre sur le semi-rigide.
La joyeuse équipe m’escorte à l’intérieur du port, j’ai de la peine à réaliser. Je viens de terminer l’étape la plus difficile en vue de la qualification pour la mini-transat. Le port de plaisance est bondé comme je ne l’avais jamais vu auparavant. C’est effectivement la première fois que j’arrive au port mi-août durant la haute-saison. Quand je l’ai quitté un mois auparavant pour me rendre en Vendée, il était déjà bien rempli. Mais là, je dois zigzaguer entre les embarcations. Depuis le semi-rigide, l’hymne nationale suisse résonne dans tout le port. Je n’ai pas vraiment l’habitude d’un tel accueil.
Je profite du moment. Je suis très ému. Mes amis amarrent Lomig en dessous de la grue juste à côté du bateau de Edouard qui est arrivé environ une heure avant moi.
C’est l’heure des retrouvailles. Lorsque je mets pieds à terre, je dois me tenir tellement le monde bouge autour de moi. Je n’ai pas eu le mal de mer durant toute la qualification, mais là, remettre le pied à terre me donne des vertiges.
En moins d’une heure les deux bateaux son grutés et à nouveau à leur place sur le terre-plein. Nous buvons tous encore une bière ensemble avant de nous séparer. Il est 3 heures. Mes copains se lèvent pour certains dans environ 2 heures.
Pour ma part, je dors une dernière fois sur Lomig, mais cette fois-ci sans mettre mon réveil à 20 minutes. Je dors 5 heures de suite, ce qu’il n’était plus arrivé depuis mon départ du Port Bourgenay.
La qualification hors course aura duré 9 jours et 8 heures sur 1150 milles nautiques, soit plus de 2100 km.
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